Pourquoi tu ne fais pas plus d'humour engagé?
On me pose souvent cette question. Et je réponds que ça n’est pas mon registre. Ce n’est pas que je n’ai rien à dire sur la politique ou les débats de société (d’ailleurs je le fais quand même de temps en temps dans mes chroniques), mais ce n’est pas vraiment mon crédo, ni ma marque de fabrique. Pourtant c’est judicieux de faire de l’actu: ça fait des vues sur les réseaux sociaux. Je le sais car je l’ai fait il y a quelques années: j’étais à l’affût, prêt à sauter sur tout ce qui bouge, dans l’espoir de balancer un truc sur YouTube. Je ne dis pas que j’ai été l’un des premiers à faire ça, mais maintenant je vois 20 humoristes par jour traiter d’un même sujet, souvent sans apporter d’angle original, et ça me fatigue un peu: un jour c’est Macron, le lendemain les influenceurs, un autre jour le dernier iPhone, puis Marlène Schiappa. On prend ce qui se présente et on y va de son bon mot. J’appelle ça les spirales: on voit passer un truc, on voit de quel côté le vent est le plus porteur: pour/contre? soutien/dénonciation?, on se construit rapidement un point de vue, on réfléchit à deux ou trois vannes, et puisque désormais on peut balancer des vidéos de moins d’une minute, voire même de quelques secondes et que ça semble suffire au public, on s’en contente. Même une seule vanne suffit désormais à justifier une vidéo. Dans cette nouvelle donne de l’humour qui tend vers un raccourcissement des formats pour arriver à presque rien, à un seul rire (ou sourire), je me demande si nous ne sommes pas en train de niveler le niveau vers le bas. Je me demande aussi si le public y trouve vraiment son compte.
La finalité de tout ça, c’est d'engranger des likes et des partages, dans l’espoir de gagner de nouveaux abonnés. C'est toujours la même finalité, car les réseaux sociaux font les carrières. Si tu pèses en ligne, tu remplis tes salles (à de rares exceptions près). Et quand tu n’es pas diffusé sur un média (je fais partie des humoristes qui ont cette chance-là et j'en ai bien conscience), tu n’as pas trop le choix; si tu veux exister, tu dois produire. Et la bataille est féroce car nous sommes vraiment très nombreux. On est loin de l'époque où un passage chez Drucker te garantissait deux ou trois ans de tournée. Mais est-ce que tous ceux qui font des vannes sur les influenceurs ou la surconsommation ont vraiment des modes de vie à l’opposé de ce qu’ils dénoncent? Je vois quand même un fort taux de renouvellement des téléphones chez les humoristes… et quand ça peut prendre un petit billet en plaçant une story ça n’hésite pas non plus très longtemps… Ça pose donc la question du double-discours et de la sincérité du propos. Ça me fait penser à Yann-Arthus Bertrand, qui après avoir pollué la planète dans tous les sens et pendant des décennies pour nous refourguer ses photos prises du ciel (jolies par ailleurs, il faut bien le dire), se place désormais en chantre de l’écologie. Est-ce un changement de cap honnête ou une réorientation opportuniste? je ne sais plus vraiment.
Bon, je suis un peu sorti du sujet principal qui était la question de l’humour engagé, mais je m’en fous, j’aime bien écrire des trucs sans trop me soucier de la cohérence globale du propos. C’est comme une conversation de fin de soirée avec mon ordi. Bien qu’il ne soit que 20h12.